Un succès construit sur l’hyper-réactivité
La réussite de Shein repose sur un modèle industriel inédit. Grâce à un réseau serré de plusieurs milliers de fabricants partenaires, principalement situés dans la province de Guangdong, la marque est capable de lancer jusqu’à 6 000 nouveaux produits par jour. Un rythme inédit dans l’industrie textile, rendu possible par une collecte massive de données, un pilotage algorithmique des stocks et une chaîne logistique éclaire entre ateliers et entrepôts.
Résultat : des prix extrêmement bas — une robe vendue 10 € en moyenne — et une rotation des collections qui surpasse largement celle des leaders traditionnels de la fast-fashion, comme Zara ou H&M. En France, Shein figure depuis 2022 parmi les trois sites de mode les plus visités, avec un volume de commandes estimé à plus de 25 millions de colis par an.
Des polémiques récurrentes : social, environnement… et éthique
Ce succès fulgurant ne va pas sans contrepartie. Les ONG et les observateurs de l’industrie dénoncent depuis plusieurs années les dérives du modèle Shein : conditions de travail, pollution textile, opacité financière et accusations de plagiat.
Un rapport de l’ONG Public Eye publié en 2021 avait notamment dévoilé des cadences de production atteignant 75 heures de travail hebdomadaire dans certains ateliers partenaires. Sur le plan environnemental, l’organisation Earth.org estime que l’entreprise met sur le marché près de 1,5 million de nouveaux produits par an, alimentant un cycle de consommation rapide et une production massive de déchets textiles. L’envoi de millions de colis en flux tendu, souvent par avion, accroît également l’empreinte carbone du groupe.
Shein fait également face à plusieurs dizaines d’accusations de plagiat émanant de créateurs indépendants, dénonçant des copies quasi parfaites de leurs modèles vendus à prix cassés. La marque affirme répondre systématiquement aux signalements et renforcer ses systèmes de détection, mais ces pratiques alimentent un malaise grandissant dans le secteur.
Le tournant stratégique : l’ouverture de magasins physiques
À l’automne 2024, Shein a confirmé son intention d’ouvrir ses premiers magasins en propre en Europe, dont plusieurs en France. Jusqu’ici, le groupe ne s’était aventuré que ponctuellement dans des “pop-up stores” temporaires, attirant à chaque fois plusieurs milliers de visiteurs. À Paris, en 2023, une boutique éphémère de trois jours avait accueilli plus de 10 000 personnes, provoquant de longues files d’attente et illustrant la notoriété du groupe auprès du public jeune.
Les futurs points de vente français — dont l’ouverture est envisagée à partir de 2025 — devraient intégrer une sélection de best-sellers, un service de retours simplifié et des offres exclusives. L’objectif est clair : conquérir les consommateurs encore réticents à acheter en ligne et développer un lien plus “incarné” avec la marque. Une stratégie proche de celle adoptée par Amazon avec ses rares implantations physiques.
Cette installation sur le territoire intervient cependant dans un contexte politique sensible. En juin 2024, l’Assemblée nationale a évoqué l’idée d’une “taxe fast-fashion” visant directement les acteurs comme Shein et Temu, accusés de concurrence déloyale et de pratiques environnementales désastreuses. Si la mesure n’a pas encore été votée, elle témoigne du climat de scepticisme qui entoure ces géants du e-commerce.
Un avenir incertain entre expansion et régulation
Si Shein continue d'afficher une croissance supérieure à 35 % par an, sa conquête du marché français se heurte désormais à de multiples fronts : pression réglementaire, attentes croissantes en matière de transparence, et prise de conscience écologique des consommateurs. L’ouverture de boutiques physiques pourrait renforcer la proximité avec le public, mais aussi exposer davantage la marque à la critique.
En France, l’arrivée de Shein marque un tournant pour la fast-fashion, bousculant les acteurs historiques autant qu’elle interroge la durabilité d’un modèle fondé sur la vitesse, le volume et des prix ultra-compétitifs. Un succès incontestable, mais une équation sociale et environnementale encore loin d’être résolue.